Un défi majeur : la sécurisation des frontières du Sahel Sahara

 

Le contrôle frontalier: une responsabilité lourde

La gestion étatique des espaces territoriaux a fatalement une influence sécuritaire et économique determinante. De cette gestion dépendra la stabilité des régions concernées et leur transformation en aires de développement ou en espaces de risques et menaces graves pour tous.

La plupart des pays, même les plus développés, rencontrent des difficultés face à cette entreprise touchant au cœur le caractère souverain d’un État. Il s’agit de la capacité d’un gouvernement à assurer l’intégrité de son territoire, à travers une présence administrative, économique, sociale et sécuritaire effective sur l’étendue de son espace national. Rares sont en effet les pays à même de protéger l’inviolabilité de leurs frontières (terrestres, maritimes et aériennes). Le défi est encore plus grand quand il s’agit de frontières terrestres, s’étendant sur plusieurs centaines de kilomètres, non clairement délimitées ou matérialisées, comme l’est par exemple la frontière entre la Libye et le Niger.

Cette difficulté s’observe même en présence de dispositifs de sécurisation modernes : murs entre états et / ou recours à de moyens technologiques avancés tels que détecteurs de mouvements, radars, caméras infrarouges, etc.

Le défi du contrôle du territoire national et de la protection de frontières, longues et difficiles, l’est encore plus sur le continent africain et en particulier dans une région vaste et à la géographie particulière comme l’est le Sahel Sahara. Quelques chiffres illustrent cette réalité: Algérie – Mali 1300 km; Algérie – Tunisie 900 km; Algérie – Libye 980 km; Algérie – Maroc 1600 km; Mali – Mauritanie 2200 km; Niger-Nigéria 1500 km.

L’absence, ou le faible contrôle des États sur leurs frontières, notamment sur les mouvements des personnes et des biens, licites ou illicites, est à l’origine, ou tout au moins contribue au développement d’activités, dans le meilleur des cas informelles, privant au passage l’État de ressources, et dans le pire des cas criminelles. Par ailleurs, cette défaillance facilite l’ancrage géographique et le développement de réseaux criminels transfrontaliers. A son tour, cette criminalité participe à la déstabilisation de régions entières, comme on l’observe actuellement dans le Sahel.

Minimiser la porosité des frontières

La coopération transfrontalière et régionale reste à mettre concrètement en œuvre pour appuyer l’action effective de chacun des pays concernés tant au niveau local que national. Elle constituera la base de l’édifice multi-strates d’échanges légitimes et aussi de sécurisation qui devrait se mettre en place pour minimiser la porosité des frontières.

Une réelle prise de conscience des risques liés à cette porosité des frontières, du rôle qu’elle joue dans le développement de certains fléaux tels que le terrorisme et la criminalité transfrontalière organisée, est essentielle. Elle permet de renforcer les capacités opérationnelles des acteurs nationaux en charge de la gestion administrative, douanière et sécuritaire des espaces vitaux particulièrement sensibles. A ce titre, une assistance technique des partenaires internationaux est plus que nécessaire.

Nombreux sont en effet les déficits capacitaires observés dans les secteurs de sécurité de la région: armées, polices, douanes, impôts, banques, etc. Ces secteurs manquent de moyens techniques – infrastructures, matériels roulants et de communication – et humains – personnel qualifié en nombre insuffisant, etc.

Par ailleurs, comme plusieurs autres services étatiques et pans des sociétés dans le Sahel Sahara, la gestion des frontières pâtit également de maux tels que la corruption endémique ou la mauvaise gouvernance des systèmes de défense et de sécurité. Des maux qui sont de nature à amoindrir l’effectivité de toute action significative de contrôle. Il est fréquent de retrouver certains éléments de ces forces impliqués dans des activités illégales et complices de criminels et autres hors-la-loi qui s’assurent leur loyauté. Certains membres des communautés vivant dans les zones frontalières, en particulier des jeunes désœuvrés ou marginalisés, se retrouvent également impliqués dans ces activités, offrant aux groupes criminels leur connaissance du terrain, notamment pour déjouer les dispositifs de contrôle frontalier quand ils existent.

Au niveau régional, il est nécessaire de rendre véritablement effective la coopération. Bilatérale ou inter étatique, celle ci dépasse difficilement et rarement, la simple logique des conférences diplomatiques et des déclarations politiques ou signatures d’accords qui, restent très souvent lettres mortes. Tels les nombreux accords signés au lendemain des indépendances en 1960.

A cet effet, les mesures décidées lors de récentes rencontres régionales, telles la conférence ministérielle ayant réuni en mars 2012 à Tripoli, Libye, des pays du Sahel et les dynamiques diplomatiques et sécuritaires initiées au niveau bilatéral (entre l’Algérie et la Tunisie, l’Algérie et le Niger, la Libye et le Niger, la Libye et le Tchad, ou encore entre le Niger et le Nigéria) ou multilatéral (entre le Niger, la Libye, le Soudan et le Tchad notamment) sont à encourager et, plus important, à concrétiser par des actions sur le terrain. Toutefois, la déclaration du gouvernement libyen, le 15 décembre 2012, annonçant la fermeture de ses frontières avec l’Algérie, le Niger, le Soudan et le Tchad et déclarant tout le sud libyen zone militaire, illustre les comportements contradictoires dont souffrent d’abord les populations frontalières.

Investir dans les régions

A elles seules, les actions sécuritaires ne suffisent pas pour assurer la paix. Elles doivent être accompagnées par le retour, pacifique, de l’Etat dans les régions frontalières et l’intégration des minorités qui y vivent marginalisées. Des mesures économiques visant à désenclaver et à développer ces zones doivent y être entreprises.

Ces efforts sont nécessaires afin que la porosité des frontières et l’insécurité, qui lui est inhérente, ne prennent une dimension encore plus dramatique, échappant davantage à tout contrôle public et que l’on en soit réduit, par la suite, à avoir à réagir dans l’urgence.

Artificielles par définition, les frontières font partie du projet de bâtir un état nation. Elles peuvent devenir soit des zones de développement et d’intégration et se pérenniser soit des aires de violence et d’économie criminelle et se fragmenter. En définitive, le choix dépend du pouvoir central comme naguère en Yougoslavie ou encore au Soudan.

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Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc., l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo saharienne.

 

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