Sahel Mali : que faire ?

 

1.                La bande sahélo-saharienne, s’étend sur plus de 8 millions de km², en zone désertique et semi-désertique, à faible densité de population, sur laquelle la plupart des pays concernés, du fait notamment de la fragilité de leurs structures étatiques, exercent peu ou pas de contrôle. La porosité des frontières qui en résulte autorise toutes sortes de déplacements de populations et l’expansion d’activités illicites, terroristes et criminelles.

2.                Malgré des progrès dans le domaine des libertés publiques, résultats de la mondialisation, des déficits de gouvernance persistent avec, en particulier, une corruption endémique, décomplexée et arrogante. La marginalisation des populations et communautés vivant dans les zones frontalières ou peu urbanisées, les inégalités trop flagrantes entre les élites urbaines et le reste de la population, y compris les jeunes sans espoir de travail – plus de 66% de la population – sont autant de facteurs creusant la fracture sociale.

3.                Depuis les années 2000, la criminalisation des relations socioéconomiques a explosé avec des trafics en tout genre prenant de l’ampleur: armes, cigarettes, personnes, voitures volées, prise d’otages et, surtout, drogues dures en provenance d’Amérique latine et transitant vers le Moyen Orient et l’Europe. Ce transit a contribué à créer une demande nouvelle de produits stupéfiants dans la région et à aggraver les pratiques de corruption et de criminalisation des sociétés notamment par le biais du blanchiment d’argent issu des divers trafics.

4.                La crise libyenne, a servi de détonateur dans un Sahel déjà largement mûr pour une explosion, du fait de la combinaison de plusieurs facteurs. Parmi ceux ci il y a le retour dans leurs pays de centaines de nationaux ayant servi dans les forces paramilitaires du Colonel Kadhafi dont la Légion Islamique -al-Failaka al-Islamiya, la circulation de grandes quantités d’armes et de munitions provenant des arsenaux de l’ancien régime,  et enfin le retour dans leurs pays de rapatriés économiques dépouillés de leurs maigres ressources par les rebelles libyens.

5.                L’absence de coopération effective, voire l’ambivalence diplomatique entre certains des Etats de la région, représente un obstacle à la mutualisation des efforts, en particulier dans les domaines du renseignement et de la sécurisation des zones frontalières. Cette situation a significativement facilité l’implantation des groupes terroristes et criminels. Sur ce plan, des pays tels l’Algérie, le Burkina, le Maroc, le Niger ou le Nigeria, pourraient davantage se concerter et mettre en place une coopération poussée afin de mieux gérer les conséquences pour la région de l’après-Kadhafi. Le CenSad rénové devrait au cours de son Sommet de Ndjamena en janvier 2013, largement y contribuer.

 

Leçons apprises de cas passés ?


L’expérience de pays ayant été confrontés au terrorisme – Algérie, Philippines et Russie, peut aider à envisager une sortie de crise au Mali et  contribuer à une lutte efficace contre la présence de groupes terroristes.

L’option du recours à la force armée, pour notamment protéger les populations civiles et les institutions publiques contre les mouvements terroristes,  a eu des résultats variables sans pour autant faire montre d’une  complète efficacité. Chacun de ces trois états a fini par y ajouter un volet politique qui s’est caractérisé par des offres de négociation, d’amnistie, de réconciliation ou de concorde nationale.

La réponse adéquate face au terrorisme fait donc appel à une approche “mixte”, comportant plusieurs ingrédients: renseignement, recours à la force armée, négociations politiques, actions de développement, etc.

Il est également à noter que l’éradication du terrorisme, tout au moins de ses causes, facteurs ou vecteurs, demande une détermination et une action résolues sur le long terme.

Un terrorisme résiduel perdurera pour ne se résorber qu’avec et après la reconstruction économique et la promotion des libertés publiques, ainsi qu’une vigilance et une attitude sécuritaire proactives.

 

Prochaines étapes au Sahel


Aujourd’hui, le Sahel se trouve à la croisée des chemins. La crise du Mali n’est que la partie émergée de l’iceberg. Dans les pays sahéliens, déjà fragilisés de l’intérieur par une pluralité de facteurs dont les rigidités sociopolitiques, les risques de contagion sur des populations vulnérables et des territoires délaissés ou peu gouvernés, sont réels. Toute la région est désormais dans la ligne de mire des radicaux et des réseaux de trafiquants convaincus que l’anarchie reste leur meilleure alliée.

Pour les extrémistes, déjà présents au Sahel, le but est d’y attirer un maximum de jeunes. Vulnérables, car démunis en l’absence notamment de perspectives économiques et du fait de l’exclusion dont ils sont l’objet, ces jeunes sont en réalité prêts à participer dans toute lutte armée. Une culture de la violence armée et de la criminalité économique banalisées, sources d’emplois,  de revenus et de reconnaissance sociale, s’installe inexorablement dans le Sahel. Elle y imprègne les sociétés et attire la jeunesse y compris les soldats non membres des gardes présidentielles plus choyées que le reste de la troupe.

Dans ce contexte, les radicaux ont trois objectifs: créer des bases de lancement d’opérations à travers la région, sécuriser un lieu d’endoctrinement et d’entrainement des jeunes recrues et de rétention des otages occidentaux, recevoir en toute impunité armes, combattants et drogues et enfin, négocier une aire de coopération avec les narcotrafiquants. Le contrôle d’aéroports de classe internationale à Gao, Tessalit et Tombouctou conforte cette stratégie.

Face à ces menaces, la réponse internationale doit être à la fois politique et sécuritaire. Pour être dissuasive, sa crédibilité doit être convaincante et commencer par la mise en œuvre d’actions politiques, sécuritaires, humanitaires et développement:

a)                Réintégrer, restructurer et rééquiper les forces de sécurité nationales. La réconciliation entre les Bérets rouges et les Bérets verts est, avec la restauration de la chaîne de commandement, la base de départ de toute reconquête du Nord. La cohésion de l’outil militaire et sécuritaire malien est à protéger dans les unités encore constituées.

b)               Appuyer les différents acteurs et institutions de la transition dans leur tâche essentielle : la réhabilitation rapide des institutions démocratiques y compris par l’organisation d’élections dans les parties du territoire national libre, soit 90 pc du corps électoral (pour les élections législatives et régionales, les mandats des élus actuels du nord seront prorogés jusqu’au retour de la paix dans le pays; en depit de leurs conditions de vie difficiles,les refugies et les deplaces devront pouvoir également voter ). La légitimité de ces acteurs et celle des institutions sont des préalables à la reconquête politique et militaire du Nord. Le statu quo actuel ne sert pas la paix mais certaines élites civiles et militaires de Bamako.

c)                Aider la classe politique malienne et la société civile à surmonter leurs divisions pour parvenir à l’adoption d’un consensus autour d’un agenda de paix national. L’objectif visé est de renforcer le front intérieur face à la menace qui pèse sur l’existence même du pays.

d)               Initier un processus de dialogue politique avec certains groupes armés présents dans le Nord, notamment dans le but de séparer ceux d’inclinaison terroriste et criminelle de ceux ayant des revendications identitaires  anciennes.

e)               Identifier et publier les noms des chefs des réseaux criminels opérant en particulier dans le Nord du Mali, ainsi que leurs alliés locaux,  régionaux et internationaux.

f)                Expliquer le caractère inexorable, à terme, d’une intervention militaire en vue de restaurer la souveraineté du Mali sur l’ensemble du territoire national. Il faut cependant bien peser les effets pervers et les conséquences inattendues de l’annonce prématurée d’une intervention militaire dans le contexte d’une guerre civile. Elle a souvent le don   d’exacerber les tensions locales. Elle pousse les partisans de l’intervention à radicaliser leur position et ne plus vouloir de dialogue politique car les troupes extérieures feront le travail à leur place. De l’autre coté le reflexe est contraire : il faut attaquer et prendre des gages territoriaux avant le débarquement des troupes extérieures forcément ennemies.

g)                S’agissant de cette intervention, les dirigeants de la CEDEAO ont, lors du Sommet extraordinaire d’Abuja (Nigeria) le 11 novembre 2012, adopté un Concept d’opérations pour le déploiement d’une Force internationale de 3.300 hommes pour une année. Ce Concept, entériné par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA) le 24novembre 2012, doit encore recevoir l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU.

h)               Ceci étant, un certain nombre d’interrogations subsistent:

•                 Bien qu’un “déploiement imminent” de la Force de la CEDEAO soit évoqué, il faudra au moins 6 mois entre l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU à venir et sa mise en œuvre effective sur le terrain. Il est encore nécessaire que l’armée malienne soit remise en ordre de bataille, que les pays de la CEDEAO honorent leurs engagements en fournissant des soldats prêts au combat. Il en va de même pour les pays qui se sont engagés à fournir une assistance technique et logistique dont certaines modalités restent à définir. Il faudra enfin que l’interopérabilité entre des forces provenant de pays aussi différents soit assurée.

•                 L’autre incertitude porte sur la nature de la confrontation qui s’en suivra. Le Maréchal Von Moltke écrivait déjà au XIX siècle : «  aucun plan militaire ne résiste à la réalité sur le terrain ». Nul ne sait, en effet, comment les groupes terroristes réagiront, comment la reconquête se déroulera, quel en sera le coût humain pour les forces d’intervention et pour les populations civiles. Que dire du temps, des moyens et de la logistique nécessaires pour sécuriser les villes libérées. Au cas où les groupes terroristes s’éparpillaient à travers le Nord du Mali comment leur traque s’organisera-t-elle ? Avec quelle force ?

•                 La dispersion des terroristes dans d’autres pays de la région une fois l’intervention lancée est également un risque à évaluer et contre lequel les pays en première ligne et la région toute entière doivent se prémunir. A ce titre, la capacité des groupes terroristes et criminels à franchir les frontières, souvent grâce aux relations qu’ils ont su tisser avec des locaux, ne devrait pas être sous-estimée. Par ailleurs, l’intervention dans le Nord du Mali ne devra pas se faire en négligeant la sécurité du reste du pays, notamment à Bamako, qui pourrait se retrouver confronté à des infiltrations.

•                 Le coût financier de l’intervention militaire est une donnée encore  incertaine. On sait toutefois qu’il ne devrait pas être inférieur à 400 million USD pour six mois à mobiliser par la CEDEAO en collaboration avec l’UA et l’ONU. Les difficultés récurrentes, notamment financières, humaines et logistiques rencontrées par les organisations africaines dans la mise sur pied de forces militaires, pousse à la prudence dans un contexte économique international difficile pour les partenaires traditionnels du continent. Il est à cet effet nécessaire que l’évaluation la plus complète possible du coût financier de l’intervention soit faite : mise à niveau des troupes, formation, équipement, soutien logistique et entretien des forces internationales et maliennes pendant toute la durée des opérations. De plus, la mobilisation effective des moyens doit être assurée avant d’engager des troupes sur le terrain; au risque d’initier une opération qui pourrait pâtir de difficultés de financement, ce qui serait plus que préjudiciable.

•                 Un certain nombre des 250 à 300 terroristes endurcis et leurs alliés locaux, près de 2000, actuellement dans le nord du Mali, sont en contact direct avec les populations et notamment à Gao et Tombouctou.  Alors que nul ne sait avec certitude quelle sera leur stratégie de défense en cas d’intervention extérieure, il est possible que certains se dissimulent au milieu des populations, rendant probable les risques de victimes collatérales. Il est également à craindre que les troupes étrangères ou même maliennes, encore habitées par le souvenir des précédentes batailles et un possible sentiment de revanche, ne considèrent tout nomade du Nord comme un terroriste potentiel à arrêter ou à abattre et que des bavures ou violations des droits humains ne se généralisent. Afin de réduire les velléités de solidarités transfrontalières avec les Maliens du Nord, toutes les précautions devraient être prises pour éviter que les populations civiles soient victimes de l’opération.

i)                 S’assurer que la reconquête physique du Nord ne soit considérée comme une fin en soi par Bamako. Une fois l’intégrité territoriale rétablie, il faudra reconquérir les esprits et les cœurs des populations, éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets. L’Etat malien doit être aidé à  exercer à nouveau un contrôle effectif et accepté  sur cette partie de son territoire.

j)                 Naturellement, il faut évaluer les risques sécuritaires et humanitaires qu’une intervention militaire pourrait avoir sur les populations vivant dans le Nord du Mali, ainsi que sur les pays voisins : Algérie, Burkina Faso, Mauritanie et Niger. Il est probable que les populations restées dans la zone ne bénéficient plus du nécessaire vital, compte tenu des voies de ravitaillement qui pourraient se fermer à partir du Sud ou encore des pays voisins, Algérie notamment, en cas d’intervention militaire. Le coût financier d’une éventuelle détérioration de la situation humanitaire devrait également être évalué et les ressources nécessaires mobilisées.

 

Observations et Recommandations


1.                Depuis que le nord a basculé entre les mains des groupes terroristes et des trafiquants au printemps dernier, le Mali est devenu le chainon faible du système sécuritaire sahélien. Les disputes internes à Bamako aggravent cette situation et fragilisent davantage ce chainon et toute la région. Le retour à la stabilité du Mali permettra de mettre un frein à une dérive dangereuse.

2.                Les acteurs maliens, actuellement en charge de la transition à Bamako et une partie des élites politiques, économiques, militaires et religieuses, ne semblent pas prendre toute la mesure de la gravité de la crise nationale. Majoritairement bénéficiaires du statu quo actuel, de ni guerre ni paix, ils ne voient pas les risques d’enracinement de la crise et celui, non de la partition, mais du démembrement de leur vieux pays.

3.                La solution de la crise est entre les mains des maliens et eux seuls. Elle a un prix  élevé qui exige clairvoyance et patriotisme. La réconciliation nationale entre forces de sécurité elles mêmes et l’établissement d’un consensus national aussi large que possible forment ce prix. Au-delà de leur passé, les deux anciens présidents, les généraux Moussa Traoré et Amadou T. Touré doivent être aidés à lancer un Appel commun pour l’unité des forces armées. Le capitaine Amadou Sanogo, fort de son statut actuel et de celui reconnu par la CEDEAO, doit appuyer cet Appel. A ce sursaut national, l’élite politique devra apporter son appui et sa participation en mettant en réserve rancœurs et rancunes du passé.

4.                Fort de ce vaste consensus national et de la légitimité qui en découle, les nouvelles autorités de Bamako seront en mesure soit de faire usage de la force soit de discuter avec les mouvements rebelles afin de parvenir à une solution durable. Ces mouvements comprendront aussi que tout conflit s’achève par un règlement négocié et donc pourquoi attendre ?

5.                Le Burkina Faso, médiateur de la CEDEAO doit être invité à apporter son soutien à ce sursaut patriotique malien. Les pays voisins et concernés – Algérie, Mauritanie de même que d’autres gouvernements devront également appuyer cette option.

6.                Une fois les maliens réconciliés avec eux-mêmes et leurs forces de sécurité reconstituées,  la décision de déployer des troupes internationales pour la reconquête du Nord et la stabilité du pays, sera plus crédible et donc plus efficace. Elle interviendra pour parachever et accompagner les accords politiques.

7.                La coopération entre les Etats de la région est et restera indispensable à une évaluation concertée des risques et menaces qui pèsent sur eux. L’évaluation servira de base à une définition des réponses appropriées et facilitera une division du travail dans le sens des orientations qui auront été décidées. Enfin, une coalition de plusieurs Etats, s’il le faut à durée déterminée et aux objectifs limités, pourrait s’organiser pour mutualiser les ressources et les autres moyens.

 

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Basé à Nouakchott, le Centre 4S a une vocation régionale puisqu’il couvre une bande allant de la Mauritanie en passant par la Guinée, au sud, et jusqu’au Tchad et au Soudan, à l’est, après avoir longé l’Atlantique et traversé la savane. Ses centres d’études sont la défense et la sécurité de la bande sahélo saharienne, la violence armée et le terrorisme, les rivalités pour le pétrole, le gaz et l’uranium, les migrations irrégulières dans et hors de l’Afrique, la contrebande de cigarettes, la drogue et les trafics humains, etc., l’environnement et les énergies renouvelables. Sa vocation est d’aider la région et ses partenaires internationaux – publics et privés, aussi bien que ceux de la société civile, les universités, les Forums et autres groupes – à davantage collaborer pour assurer la sécurité et la prospérité de la bande sahélo saharienne.

 

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